Par Eve Aubisse, avocate, et Camille Mialot, avocat
Le décret sur l’agrivoltaisme est publié ! Une consultation publique en ligne s’était tenue du 26 décembre 2023 au 16 janvier 2024 sur le projet de décret relatif au développement de l’agrivoltaïsme et aux conditions d’implantation des installations photovoltaïques sur terrains agricoles, naturels ou forestiers.
La notion « d’agrivoltaïsme » telle qu’introduite par la loi APER est précisée, et se distingue de la simple production d’énergie solaire sur sol agricole et forestier, qui est limitée (1). Les conditions de développement de l’agrivoltaisme y sont décrites (2). L’agrivoltaïsme emporte des conséquences en droit de l’urbanisme (3). Si la loi APER et le décret apportent une clarification bienvenue pour le développement de l’agrivoltaïsme sur du foncier agricole, ce nouveau régime juridique n’apporte pas de précision sur les montages contractuels qui permettent la cohabitation de la production d’énergie et agricole (4). Avant sa mise en œuvre concrète, il manque encore quelques textes (5).
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1) La distinction de l’agrivoltaïsme des simples unités de production photovoltaïques sur des terrains agricoles
La loi APER a introduit l’agrivoltaïsme, qui se distingue des « simples » unités de production photovoltaïques, installées sur des terrains à vocation agricole, pastorale ou forestière.
La Loi APER définit l’agrivoltaïsme à l’article L.314-36 du code de l’énergie. En substance, l’agrivoltaïsme est la production d’énergie à partir de panneaux photovoltaïques installés sur du foncier agricole, une telle installation visant à maintenir, voire à améliorer, la production agricole. L’idée sous-jacente étant que la production d’énergie ne remplace pas la production agricole, mais s’y greffe, en complément, pour la valoriser.
Pour les installations simples, non-agrivoltaïques, la loi APER a créé un nouvel article L 111-29 du code de l’urbanisme. Cet article prévoit que les centrales photovoltaïques ne pourront se développer que sur des terrains identifiés par le document cadre élaboré par les préfets, sur proposition des chambres d’agriculture et après consultation de la CDPENAF (Commission Départementale de Préservation des Espaces Naturels, Agricoles et Forestiers) . Pour être identifiés dans ce document-cadre, ces terrains pouvant accueillir des centrales photovoltaïques devront être réputés « incultes ».
Le décret définit les modalités d’élaboration de ce document cadre et apporte des précisions sur la notion de « terrains incultes ». Les terrains doivent notamment ne plus avoir été exploités depuis au moins dix ans et l’exploitation agricole ou pastorale doit y être impossible .
La création d’unité de production photovoltaïques sur des espaces naturels agricoles et forestiers avait déjà fait l’objet d’un décret et d’un arrêté dans le cadre de l’application de la loi climat et résilience du 22 aout 2021 à propos du ZAN (zéro artificialisation nette). Selon le décret n° 2023-1408 du 29 décembre 2023 définissant les modalités de prise en compte des installations de production d’énergie photovoltaïque au sol dans le calcul de la consommation d’espaces agricoles naturels et forestiers. Un espace naturel ou agricole occupé par une installation de production d’énergie photovoltaïque n’est pas comptabilisé dans la consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers si les modalités de cette installation permettent de garantir :
1° La réversibilité de l’installation ;
2° Le maintien, au droit de l’installation, du couvert végétal correspondant à la nature du sol et, le cas échéant, des habitats naturels préexistants sur le site d’implantation, sur toute la durée de l’exploitation, ainsi que de la perméabilité du sol au niveau des voies d’accès ;
3° Sur les espaces à vocation agricole, le maintien d’une activité agricole ou pastorale significative sur le terrain sur lequel elle est implantée, en tenant compte de l’impact du projet sur les activités qui y sont effectivement exercées ou, en l’absence d’activité agricole ou pastorale effective, qui auraient vocation à s’y développer.
L’arrêté du 29 décembre 2023 a défini quant à lui, les caractéristiques techniques des installations de production d’énergie photovoltaïque exemptées de prise en compte dans le calcul de la consommation d’espace naturels, agricoles et forestiers.
2) Les conditions de développement de l’agrivoltaïsme
Le décret précise ainsi les termes de la loi :
- Les agriculteurs peuvent bénéficier d’une installation agrivoltaïque sur des parcelles agricoles dès lors qu’ils répondent à la définition « d’agriculteur actif » au sens de la PAC .
- « L’amélioration du potentiel et de l’impact agronomiques » consiste en une amélioration des qualités agronomiques du sol ou une augmentation du rendement de la production agricole. Ou à défaut, peut tenir au maintien du rendement, voire à la réduction d’une baisse tendancielle observée au niveau local, ou encore une remise en activité d’un terrain agricole inexploité depuis plus cinq ans .
- « L’adaptation au changement climatique » consiste en une augmentation du rendement de la production agricole, ou à défaut, le maintien, ou la réduction d’une baisse tendancielle observée au niveau local. Cette adaptation peut consister en une amélioration de la qualité de la production agricole. Les effets adaptatifs permis par l’installation agrivoltaïque peuvent être thermiques, hydriques, ou encore radiatifs.
- « La protection contre les aléas » s’apprécie au regard de la protection apportée par les modules agrivoltaïques contre au moins une forme d’aléa météorologique.
- « L’amélioration du bien-être animal » s’apprécie au regard de l’amélioration du confort thermique des animaux et par l’apport de services ou de structures améliorant les conditions de vie des animaux .
Pour apprécier le caractère significatif et durable de la production agricole, le décret distingue les « technologies agrivoltaïques éprouvées », énumérées par un arrêté ministériel, et les autres :
- Pour les « technologies éprouvées », la production agricole significative est appréciée en fonction d’un référentiel déterminé par l’ADEME (Agence de l’environnement et de la maitrise de l’énergie) ;
- Pour les autres, elles devront comporter une zone témoin sans modules photovoltaïques – sauf à justifier d’un cas d’installation agrivoltaïque similaire existant au niveau départemental ou régional. La production agricole est considérée comme significative lorsque la moyenne du rendement par hectare observé sur la parcelle agrivoltaïque est supérieure à 90% de la moyenne du rendement par hectare observé sur la zone témoin. Une diminution plus importante pourrait être acceptée sous certaines conditions (évènements imprévisibles par exemple) . Les conditions techniques de l’évaluation de la production agricole significative doivent encore être définies par un arrêté ministériel.
Le décret prévoit aussi que le revenu issu de la production agricole est durable lorsque la moyenne des revenus issus de la production agricole après l’installation d’une centrale agrivoltaïque n’est pas inférieure à la moyenne de ces mêmes revenus avant l’implantation de la centrale. En tenant compte de l’évolution de la situation économique générale et de l’exploitation. A nouveau, une diminution peut être acceptée, en raison d’évènements imprévisibles notamment . Ce critère du revenu nous semble pouvoir être très variable et finalement peu contraignant.
Enfin, le décret fixe le taux de couverture, c’est-à-dire le rapport entre la surface de la centrale agrivoltaïque et la surface de la parcelle agricole. Pour les « technologies non éprouvées » de plus de 10 MW, ce taux de couverture ne devra pas excéder 40 %. Le taux de couverture des « technologies éprouvées » sera fixé par arrêté ministériel – et pourra, donc, excéder les 40% .
Les contrôles, seront effectués tous les cinq ans pour les installation « éprouvées », tous les trois ans pour les installations « non-éprouvées » si leur taux de couverture est inférieur à 40%, et chaque année pour les autres installations.
3) La qualification d’agrivoltaïsme emporte des conséquences en droit de l’urbanisme
La distinction opérée par la loi APER entre « agrivoltaïsme » et « photovoltaïque sur terrains agricoles » n’est pas sans conséquences.
Elle fait d’ailleurs l’objet d’une section dédiée dans le code de l’urbanisme, introduite par la loi APER, aux articles L. 111-27 et suivants.
L’article L. 111-27 du code de l’urbanisme dispose que les installations « agrivoltaïques » sont considérées comme « nécessaires à l’exploitation agricole » au sens du code de l’urbanisme. Cela implique que, dès lors qu’elles sont « agrivoltaïques », ces installations doivent en principe être autorisées en zone A, bien que les constructions y soient normalement interdites. En outre, pour ces installations, le décret prévoit, de manière dérogatoire, que le préfet est compétent pour délivrer le permis de construire des ouvrages agrivoltaïques – tel que cela est déjà le cas pour « les ouvrages de production, de transport, de distribution et de stockage d’énergie, ainsi que ceux utilisant des matières radioactives » lorsque « cette énergie n’est pas destinée, principalement, à une utilisation directe par le demandeur ». Dans ce cas, l’instruction des permis est assurée par les services de l’État. Le préfet doit recueillir l’avis simple du maire ou du président de l’EPCI compétent.
Les autres installations de production d’énergie photovoltaïque sur des terrains agricoles devront, elles, être autorisées par le document d’urbanisme et « compatibles avec l’exercice d’une activité agricole » pour être autorisées, après avoir été identifiés par le document cadre du préfet. Cette compatibilité devra « s’apprécier à l’échelle de l’ensemble des terrains d’un seul tenant, faisant partie de la même exploitation agricole, pastorale ou forestière, au regard des activités agricoles, pastorales ou forestières qui y sont effectivement exercées ou, en l’absence d’activité effective, qui auraient vocation à s’y développer » (Art. L. 111-29 du code de l’urbanisme).
Les autorisations d’urbanisme restent, dans ce cas, délivrées par le maire.
4) Le régime juridique nouveau de l’agrivoltaïsme ne règle pas la question de la cohabitation de l’activité énergétique et agricole sur le même fonds
Contrairement à la méthanisation à la ferme qui est juridiquement une activité agricole , l’agrivoltaïsme a pour support l’exploitation agricole, mais ne se confond pas avec elle.
Ainsi, deux activités, production d’énergie et agriculture, s’exercent sur le même fonds. De nombreuses problématiques en découlent, la principale étant celle de l’accès au foncier dans le cas où l’exploitant agricole est fermier et non propriétaire. Cette question est loin d’être anecdotique : l’activité agricole ne peut pas être évacuée des projets, puisqu’elle en est la condition sine qua non. Le fermier titulaire d’un bail rural ne peut pas sous-louer le foncier qu’il exploite, en vertu du régime d’ordre public attaché aux baux ruraux. Dans ce contexte, comment assurer la cohabitation d’exploitants agricoles et d’une activité de production d’énergie, les deux ayant besoin d’accéder au même terrain, en même temps, pour deux activités différentes ?
Des pistes peuvent être esquissées, mais restent encore à pérenniser et améliorer. Les producteurs d’énergie bénéficient le plus souvent de baux emphytéotiques, ce qui leur permet d’ensuite installer des agriculteurs à travers des prêts à usage. La rétribution des agriculteurs pour la présence des panneaux agrivoltaïques peut s’effectuer par des contrats de prestation de service pour l’entretien de la centrale.
Bien d’autres problématiques naissent de cette situation et restent à explorer.
Quelle répartition des risques pour le projet et quelle répartition de la valeur entre les parties prenantes ? Cette question dépasse largement les seuls énergéticiens et agriculteurs, et pourraient concerner et fédérer des territoires entiers autour de projet collectifs d’agrivoltaïsme.
La notice du décret n° 2024-318 précise d’ailleurs « des dispositions législatives, adaptant le cas échéant les règles du statut du fermage, viendront préciser les modalités de contractualisation et de partage de la valeur générée par les projets agrivoltaïques, entre l’exploitant agricole, le producteur d’électricité et le propriétaire du terrain sur lequel l’installation agrivoltaïque est implantée lorsque ce dernier est différent de l’exploitant ».
5) La mise en œuvre réelle de ce nouveau régime juridique nécessite encore quelques autres textes
Si ce décret précise les conditions d’installation de centrales agrivoltaïques, il devra nécessairement être complété par des textes ultérieurs afin que le régime de l’agrivoltaïsme puisse être pleinement mis en œuvre.
Ainsi, à ce jour, il manque :
- Un décret en Conseil d’Etat et les arrêtés préfectoraux afférant définissant les « documents-cadre » de l’article L. 111-29 du code de l’urbanisme ;
- Des arrêtés ministériels afin de définir les caractéristiques techniques des installations de production d’énergie photovoltaïque exemptées de prise en compte dans le calcul de la consommation d’espace naturel, agricole et forestier ; les indicateurs d’amélioration du potentiel et de l’impact agronomiques d’une installation agrivoltaïque ; et les conditions à partir desquelles la production agricole est considérée comme significative.
- Un décret en Conseil d’Etat relatif à l’information par le préfet du maire et du président de l’EPCI quant au dépôt d’une demande d’autorisation d’une installation agrivoltaïque ;
- Un décret en Conseil d’Etat relatif aux prescriptions générales régissant les opérations de démantèlement et de remise en état du site ainsi que les conditions de constitution et de mobilisation des garanties financières.
Il convient également de noter qu’un projet d’arrêté, relatif au développement de l’agrivoltaïsme et aux conditions d’implantation des installations photovoltaïques sur terrains agricoles, naturels ou forestiers, a été mis en consultation du 15 mars au 05 avril 2024. Ce projet prévoit des dispositions, notamment en matière de contrôles et de sanctions.
Il est intéressant de noter que l’article 7 de ce projet d’arrêté précise que les installations agrivoltaïques ne sont pas des installations considérées comme consommatrices d’espace dès lors qu’elles respectent les conditions génériques de la non-consommation d’espace.
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Ces questions restent ouvertes, la créativité juridique étant de mise pour offrir un cadre sécurisé et équilibré à toutes les parties prenantes. A suivre, donc, que vous soyez énergéticien, propriétaire foncier, exploitant agricole, riverain ou collectivité territoriale !
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