Le greenwashing n’est plus durable !

Le greenwashing n’est plus durable !

Projet de directive européenne contre l’écoblanchiment

 

Commentaire par Louis de REDON

Maître de conférences HDR à AgroParisTech

Chercheur à l’Institut de Recherche Juridique de la Sorbonne (IRJS)

Avocat of counsel Mialot Avocats

 

Commentaire
Proposition de la Commission européenne du 22 mars 2023 relative à un projet de directive du Parlement et du Conseil sur les allégations environnementales explicites et les écolabels[1]

 

Résumé.- Le 22 mars 2023, la Commission européenne a présenté son projet de directive relative à la lutte contre l’écoblanchiment. Cette proposition était très attendue comme les allégations environnementales et les écolabels envahissent rapidement aussi bien les rayons des magasins que le secteur des services dans un désordre généralisé qui nuit aussi bien à souhaite réguler les allégations environnementales explicites et les écolabels de manière à assurer une meilleure protection de l’environnement et des consommateurs comme le bon fonctionnement du marché.

Solutions.- La Commission prévoit que les allégations environnementales explicites devront être fondées sur des données scientifiques indépendantes et publiques. Elles devront prendre en compte la totalité de la vie du produit, l’ensemble de ses impacts environnementaux et différer des obligations légales et réglementaires déjà existantes. En matière d’écolabels, la Commission veut imposer plus de transparence et un certain nombre d’obligation aux organismes certifiants ; notamment des obligations relatives à la démonstration des apports réels des écolabels en termes de plus-value environnementale et aux procédures de labellisation.

Impact.- D’ici 2025, compte-tenu de la procédure de codécision puis des délais de transposition, et si le projet de directive abouti en l’état, les États Membres devront mettre en place une police de la communication environnementale dotée de missions de contrôle et de sanction. Les entreprises devront mettre en place des procédures d’évaluation et d’autocontrôle. Dans le cas contraire, en cas de communication environnementale mensongère ou trompeuse, elles encourront de lourdes sanctions administratives et pénales.

 

« Neutre en carbone », « Bois issu d’une forêt durable », « Produit respectueux de la biodiversité », « Zéro plastique », « Issu de matériaux recyclés », « Respecte la couche d’ozone », « Protège les océans »

Les entreprises ont depuis longtemps flairé la bonne affaire en vendant (plus cher) des produits qui se revendiquent écoresponsables auprès de consommateurs de plus en plus soucieux en matière environnementale et désireux de réduire leur impact écologique. Sauf que… Plus de 50 % des allégations environnementales examinées dans l’UE par la Commission européenne en 2020 étaient vagues, trompeuses ou infondées.

Ces pratiques mensongères sont définies comme de l’écoblanchiment (ou greenwashing) et elles sont un véritable sujet de préoccupation. Au moins à trois titres. Elles entravent la transition écologique en parasitant les services et produits plus vertueux sur le plan environnemental. Elles trompent et induisent en erreur le consommateur qui accepte de payer plus pour acheter durable sans que cela le soit vraiment. Et enfin, elles créent une concurrence inéquitable, voire déloyale, sur le marché au détriment des entreprises réellement investies dans la transition écologique.

Dans ce contexte de fraude quasi-généralisée, la Commission européenne a décidé de passer à l’offensive. Le 22 mars dernier, elle a présenté un projet de directive sur les allégations environnementales explicites et les écolabels ; dite Green Claims Directive. Le projet s’inscrit dans le cadre plus large du Green Deal européen annoncé en décembre 2019 par la présidente Van Der Leyen. Le texte dispose de pas moins de 73 considérants et de 27 articles pour tenter de remettre un peu d’ordre dans la jungle du nouveau et juteux marché du durable.

Le projet de directive est donc bienvenu même s’il eut été préférable, et surtout plus efficace, que la Commission choisisse la voie du règlement alors même que le fondement principal du texte est la protection des consommateurs… Un secteur généralement traité par voie de règlements. On ne connait d’ailleurs pas trop le pourquoi du comment de cet arbitrage dont les motivations sont aussi sommaires que contestables dans l’exposé des motifs. Peut-être est-ce le moyen, sur un sujet qui demande du volontarisme, de se défausser sur des États Membres qui, comme bien souvent la France, seront forcément tentés de prendre autant leur temps que leur aise avec les objectifs fixés ?

Le projet de directive, qui doit désormais être étudié par le Parlement et le Conseil, concerne deux types de communications écologiques : les allégations environnementales explicites, telles que « crème solaire respectueuse des océans », et les écolabels, autres que ceux déjà couverts par des réglementations de l’Union comme le label bio (art. 1).

En ce qui concerne les allégations explicites (définitions à l’article 2), elles devront être vérifiées de manière indépendante (art. 3). Il conviendra de démontrer, de manière assez ambitieuse, (1) que l’allégation repose sur des preuves scientifiques et sur l’état actuel des connaissances techniques, (2) que l’impact est significatif sur l’ensemble de la durée de vie du produit, (3) que l’ensemble des impacts sur l’environnement sont bien pris en compte, (4) que l’allégation n’a pas d’équivalent déjà imposé par la loi ou la réglementation, (5) que les effets positifs sur l’environnement sont significativement meilleurs que ceux des pratiques habituelles, et (6) que les effets positifs allégué ne conduisent pas une détérioration d’autres impacts environnementaux. En ce qui concerne les bilans carbone, ceux-ci devront être affichés de manière transparente et devront inclure les émissions directes comme indirectes (art. 4).

L’allégation devra spécifier la manière dont le consommateur doit utiliser le produit pour pouvoir atteindre l’objectif environnemental allégué. Les informations relatives, notamment, à la performance environnementale du produit, aux standards européens et internationaux, aux études scientifiques justifiant l’allégation, aux bénéfices environnementaux tirés de l’allégation et aux calculs du bilan carbone éventuel, devront être mis à disposition de manière détaillée via un QR code (art. 5).

Par ailleurs, les comparaisons écologiques de produits ne pourront pas se faire au sein d’une même marque ou avec des produits qui ne sont plus sur le marché (art. 6). Enfin, les États Membres devront s’assurer que les allégations environnementales sont bien à jour au regard des connaissances scientifiques et techniques du moment. En cas d’évolution, une période pas plus longue que 5 ans pourra être accordée pour une mise à jour de l’allégation (art. 9).

Les labels environnementaux, ou écolabels, seront aussi strictement encadrés (art. 7). Seuls les labels respectant les règles d’étiquetage européen pourront être utilisés. Pour cela, les informations devront être transparentes, accessibles gratuitement, faciles à comprendre et suffisamment détaillées notamment en ce qui concerne les objectifs environnementaux du label, les conditions d’accès au label, la procédure de certification, l’identification du propriétaire du label, et la description de l’organe de décision en matière de certification.

Les règles d’accès au label devront prendre en compte la taille et l’ancienneté des sociétés qui solliciteront la certification de manière à ne pas être discriminant envers les petites et moyennes entreprises (art. 8). Ainsi, les États Membre devront prendre les mesures nécessaires pour aider les petites et moyennes entreprises à accéder aux labels écocertifiant par des aides financières, la facilitation d’accès aux financements, la formation des dirigeants et une assistance technique (art. 12).

Les nouveaux labels environnementaux devront établir un schéma de certification disposant : (1) de l’objet du label, (2) du périmètre de la labellisation, (3) des preuves que le label apporte une réelle plus-value environnementale, (4) des critères retenus pour obtenir le label, et (5) de la méthodologie de certification retenue (art. 8). Les procédures de labélisation devront être établies par des experts capables de s’assurer de la robustesse scientifique de la démarche. Par ailleurs, l’entreprise porteur du label devra disposer d’une procédure de réclamation et de mécanismes de résolution des différends. Enfin, il devra être possible de retirer le label, ou d’en suspendre l’usage, si une entreprise ne respectet pas de manière flagrante les obligations posées par celui-ci (art. 8).

Pour s’assurer que toutes ces obligations sont bien respectées par les opérateurs, les États Membres devront établir des procédures de contrôle (art. 10). Celles-ci seront assurées par des vérificateurs qui devront être indépendants, compétents, responsables et intègres. Ils devront disposer d’un haut niveau d’expertise et des moyens techniques adéquats. Ils devront être en nombre suffisant et ils seront soumis au secret professionnel. Enfin il leur sera possible de déléguer un certain nombre de tâche sous leur responsabilité (art. 11).

Les États Membres devront désigner une autorité compétente responsable de l’application de la directive (art. 13). Celle-ci devra disposer de pouvoirs d’inspection : accès aux documents, pouvoir de demander la communication d’informations, pouvoir d’investigation, pouvoir de de mettre fin aux infractions à la directive, pouvoir d’injonction et pouvoir de sanction (art. 14).

Concernant ce dernier point, c’est-à-dire la répression pénale des infractions en matière d’allégation et de labellisation environnementales, les États Membres devront mettre en place des sanctions (1) effectives, (2) proportionnées et (3) dissuasives (art. 17). Tout un programme en France ! Ces sanctions devront prendre en compte la nature, la gravité, l’étendue et la durée des infractions. Elles devront aussi discriminer les infractions intentionnelles des négligences et tenir compte la situation financière des délinquants (notamment leurs chiffres d’affaires). Enfin, le bénéfice économique tiré de l’infraction, et l’éventuelle état de récidive, seront aussi des critères qui devront être intégrés à la fixation des sanctions.

Les sanctions pourront, notamment, consister en des amendes (pourvu qu’elles permettent d’anéantir le bénéfice économique tiré de la commission des infractions), en la saisie des gains tirés des infractions, et en l’exclusion temporaire, pour une période de 12 mois maximum, des marchés et des financements publics. Il sera intéressant de voir comment ces attendus pénaux de la directive s’articuleront avec le délit de tromperie établi à l’article L. 454-1 du Code de la consommation et, surtout, avec le nouveau délit de publicité mensongère en matière environnementale créé par la loi climat-résilience d’août 2021 et codifié au e) de l’article L. 121-2 du Code de la consommation[2].

Ce nouveau délit dispose qu’« une pratique commerciale est trompeuse (…) 2° lorsqu’elle repose sur des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur et portant sur (…) : e) la portée des engagements de l’annonceur, notamment en matière environnementale, la nature, le procédé ou le motif de la vente ou de la prestation de services (…) » ; punissant ces pratiques commerciales trompeuses de deux ans d’emprisonnement et de 300 000 € d’amende sachant que « le montant de l’amende peut être porté, de manière proportionnée aux avantages tirés du manquement, à 10 % du chiffre d’affaires moyen annuel, calculé sur les trois derniers chiffres d’affaires annuels connus à la date des faits, ou à 50 % des dépenses engagées pour la réalisation de la publicité ou de la pratique constituant le délit » (art. L. 121-2 du C. cons.) Cela ne parait pas incompatible, et pourrait même être déjà conforme, avec les objectifs du projet de directive ; sur le papier en tout cas…

En conclusion, le projet de directive est assez ambitieux. Le périmètre est large (allégations et labels) et les sanctions au greenwashing seront potentiellement lourdes. On regrettera le recours à la directive plutôt qu’au règlement puisque cela aura d’abord pour effet de décaler l’entrée en vigueur de ces mesures pourtant urgentes (du fait du délai transposition fixé à 18 mois), et ensuite de créer des distorsions d’un État Membre à un autre alors que l’un des trois objectifs majeurs du texte était justement de mettre un terme au désordre régnant sur le marché. Reste donc à savoir quel sort le Parlement et le Conseil européens réserveront à ce projet de directive : l’esprit du texte sera-t-il conservé durant le processus de codécision, ou celui-ci évoluera-t-il vers plus de libéralité ou au contraire de sévérité ? Affaire à suivre !

[1] Texte sur eur-lex : https://eur-lex.europa.eu/legal-content/EN/TXT/?uri=COM%3A2023%3A0166%3AFIN

[2] Articles 10 et 11 de la loi n°2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, NOR : TREX2100379L, JORF n°0196 du 24 août 2021.