Étude par Louis de REDON
Maître de conférences HDR à AgroParisTech
Chercheur à l’Institut de recherche juridique de la Sorbonne (IRJS)
Avocat of counsel Mialot Avocats
Commentaire
Loi n°2023-54 du 2 février 2023 visant à limiter l’engrillagement des espaces naturels et à protéger la propriété privée.
Résumé.- Le 25 janvier 2023, le Parlement a définitivement adopté à une très large majorité la proposition de loi n°596 visant à limiter l’engrillagement des espaces naturels et à protéger la propriété privée au terme d’un lobbyisme de plus de vingt ans de nombreuses associations environnementales engagées dans le combat de la restauration des continuités écologiques (trame verte) dans la ruralité et les espaces naturels face au phénomène galopant de l’engrillagement.
Solution.- Le texte prévoit des contraintes très strictes en matière d’enclos en milieux naturels : toutes les clôtures posées depuis moins de trente années à la date de la publication de loi devront, au 1er janvier 2027, soit être effacées, soit être aménagées de manière à permettre la circulation de la biodiversité (à quelques exceptions près liées à des enjeux patrimoniaux et de sécurité publique ; notamment). Des sanctions lourdes sont prévues en cas de non-respect de ces dispositions législatives (3 ans d’emprisonnement et 150.000 euros d’amende encourus).
Impact.- Ce sont donc plusieurs milliers de kilomètres de clôtures qui devront être retirées ou aménagée au cours des cinq prochaines années. Si la loi présente quelques fragilités, il n’en demeure pas moins qu’il s’agit d’une avancée majeure du droit sur le sujet de conservation de la biodiversité. Le texte devrait cependant être soumis à un contentieux nourri d’ici à son entrée en vigueur ; notamment au regard des intérêts de grands propriétaires terriens qui n’ont nullement l’intention de capituler.
Depuis une bonne trentaine d’années, une bien curieuse mode au confinement s’est propagée aux forêts françaises.[1] Ici et là, et souvent en Sologne (pourtant plus grande zone Natura 2000 d’Europe), de grands propriétaires terriens ont fait le choix de s’enclore ; arguant de l’alibi de la défense de la propriété privée, contre une population encline aux promenades forestières intempestives, pour mieux dissimuler un mobile cynégétique.
En effet, face à des arrêtés préfectoraux disposant des périodes de chasse de plus en plus scrutés, et attaqués au besoin, par les associations de défense de l’environnement, l’article L. 424-3 du Code de l’environnement offre la possibilité à un propriétaire, « en tout temps », de « chasser ou faire chasser le gibier à poil dans ses possessions attenant à une habitation et entourées d’une clôture continue et constante faisant obstacle à toute communication avec les héritages voisins et empêchant complètement le passage de ce gibier et celui de l’homme (…) ». Adieu donc ouverture, adieu donc fermeture, et surtout adieu contrôles de la police de la chasse ; la jurisprudence, bien extensive en la matière, ayant eu la bien mauvaise idée d’inclure l’ensemble des enclos attenants à des habitations, et quelques soient leurs dimensions (même de plusieurs km2), dans le périmètre de la protection domiciliaire. La tentation de s’enclore était trop forte ; elle était même encouragée par la loi.
Ainsi, des pratiques de chasse scandaleuses, et même décriées par une large majorité de chasseurs, se sont développées dans des parcs privés établis en véritables zones de non-droit inaccessibles à la police de l’environnement. Des animaux piégés, souvent lâchés par centaines (voir milliers), étaient ainsi abattus à toute époque de l’année (y compris en période reproductive), par tout temps (y compris de neige) et à toute heure (y compris la nuit) lors de parties de chasse ressemblant davantage à des ball-traps géants.
Les experts se sont mis à parler d’un phénomène de « solognisation » des forêts transformées en abattoirs à ciel ouvert.
Cet état de pur fait emportait de nombreux enjeux éthiques, biologiques et juridiques. La concentration d’animaux en enclos posait le sujet de surpopulation qui amenait à une destruction du milieu naturel (piétinement et prédation sur les végétaux avec des densités d’animaux souvent dix fois supérieure à la moyenne). L’importation d’animaux d’élevage, souvent illégale, depuis des pays d’Europe de l’Est posait des problèmes sanitaires (notamment l’importation de sangliers porteurs de la tuberculose). La quantité de cadavres, de gros comme de petit gibier, obligeait à enterrer à la va-vite la nuit tombée les différentes « pièces » au mépris des plus élémentaires règles de salubrité. L’acte de chasse lui-même emportait des considérations éthiques et morales du fait de la méthode employée consistant à contraindre les animaux à s’exposer au feu sans leur laisser la moindre chance de s’échapper et de survivre. La fermeture du milieu naturel empêchait la libre circulation de la biodiversité et donc provoquait des problèmes de consanguinité dans les populations animales. Le réseau grandissant de clôtures empêchait toute velléité des élus locaux à instaurer des trames vertes sur leur territoire malgré l’ordre de la loi. Et enfin, en matière de sécurité civile, les sapeurs-pompiers étaient interdits d’accès aux massifs forestiers et cas de feu.
Et si le passé est utilisé pour ce propos, c’est qu’après plus de vingt années de combat d’associations environnementales, et de pression auprès des élus parlementaires, une proposition de loi « visant à limiter l’engrillagement des espaces naturels et à protéger la propriété privée » a été déposée au Sénat le 12 octobre dernier puis a été adoptée en seconde lecture, après réunion d’une commission mixte paritaire, le 25 janvier 2023. Si la loi n’est pas parfaite et présente quelques lacunes, elle a le très grand mérite de s’être saisie du sujet, d’avoir proposé un certain nombre d’avancées et surtout d’être passée ; ce qui était très loin d’être gagné tant le lobbyisme exercé par certains grands propriétaires fortunés sur les parlementaires et le Gouvernement a été intense ; sur les journalistes aussi dont un grand nombre de ceux qui ont osé porter le sujet dans le débat public se sont retrouvés victimes de procédures baillons via des dépôts de plainte en diffamation réalisés de manière quasi-industrielle…
L’article 1er de la proposition de loi adoptée dispose de la réorganisation du Titre VII du Code de l’environnement renommé « Continuités écologiques ». Il est désormais divisé en deux chapitres : « Ier : trame verte et bleue » et « II : Dispositions propres aux clôtures ». Et c’est dans ce deuxième chapitre que le législateur a posé de nouvelles règles visant à limiter l’engrillagement des forêts et à promouvoir la restauration des continuités écologiques. Un nouvel article L. 372-1 établit des règles relatives aux clôtures : « elles sont posées à 30 centimètres au-dessus de la surface du sol, leur hauteur est limitée à 1,20 mètre et elles ne peuvent ni être vulnérantes ni constituer des pièges pour la faune ». Cela est bien même si eut été préférable de simplement les interdire : l’argument fallacieux déployé par certains lobbyistes d’un droit constitutionnel à s’enclore, qui serait fondé sur les dispositions relatives à la propriété privée établies à l’article 17 de la Déclaration de l’Homme et du Citoyen de 1789, semble avoir malheureusement été entendu. Il faut aussi noter que ces dispositions techniques ne s’appliquent pas aux clôtures (1) des parcs d’entrainement, de concours ou d’épreuves de chien de chasse, (2) des élevages équins, (3) érigées dans un cadre scientifique, (4) revêtant un caractère historique et patrimonial, (5) des domaines nationaux, (6) posées autour de parcelles sur lesquelles est exercée une activité agricole, (7) nécessaire au déclenchement et à la protection des régénérations forestières, (8) posées autour des jardins ouverts au public, (9) nécessaires à la défense nationale, à la sécurité publique ou à toute autre intérêt public, et plus généralement, ce qui est beaucoup plus contestable, à toutes les clôtures (10) établies de plus de trente ans. Le dispositif est donc intéressant mais présente certaines incohérences issues d’arbitrages politiques certainement inévitables. Ainsi, et par exemple, il pourrait donc exister des clôtures « historiques » qui ne seraient pas trentenaires… Ce qui ne nous rajeunit pas. Enfin, il est à noter que « l’implantation de clôtures dans les espaces naturels et les zones naturelles ou forestières délimitées par le règlement local d’urbanisme en application de l’article L. 151-9 du Code de l’urbanisme est soumise à déclaration » (ce qui est pour le moins minimaliste) et que « les habitations et les sièges d’exploitation d’activités agricoles ou forestières, situées en milieu naturel peuvent être entourés d’une clôture étanche, édifiée à moins de 150 mètres des limites d’habitation ou du siège de l’exploitation » (ce qui réduit encore davantage la portée de la disposition précédente même si cela peut se justifier).
L’article 3 crée un nouvel article L. 424-3-1 au Code de l’environnement disposant de l’obligation faite aux propriétaires d’enclos non conformes aux dispositions de l’article L. 372-1 de procéder à leur suppression ou à la mise en conformité dans des « conditions qui ne portent atteinte ni à l’état sanitaire, ni aux équilibres écologiques, ni aux activités agricoles du territoires ». Il ne s’agirait évidemment pas de libérer des quantités importantes de sangliers dans la nature au risque de voir des maladies se propager et des dégâts aux cultures être causés. Ainsi l’effacement des clôtures est soumis à déclaration préalable auprès de l’autorité préfectorale ; un arrêté conjoint des ministres chargés de l’environnement et de l’agriculture devra en déterminer les modalités.
L’article 4 est une petite révolution de portée beaucoup plus générale. En effet, la rédaction ancienne de l’article L. 171-1 du Code de l’environnement, et surtout l’interprétation qui en été faite par le juge judiciaire, interdisait à la police de l’environnement d’accéder aux enclos aux fins de contrôle et (éventuellement) de verbalisation comme ces espaces étaient considérés comme domiciliaires. Le législateur a donc spécifiquement exclu cette interprétation en limitant l’exclusion d’accès de la police de l’environnement aux seuls « domiciles » stricto sensu et en ajoutant spécifiquement la possibilité d’accès, à tout moment, auxdits « enclos ». Voilà donc une disposition qui va permettre un meilleur contrôle, et une meilleure sanction, des atteintes à l’environnement en élargissant de manière substantielle le périmètre d’action des agents de l’Office Français de la Biodiversité (OFB).
L’article 6 établit les sanctions pénales en cas de non-respect des nouvelles règles en matière de clôtures. Et elles sont lourdes ! En effet, la proposition de loi vise les dispositions de l’article L. 415-3 du Code de l’environnement : « trois ans d’emprisonnement et de 150 000 € d’amende ». Par ailleurs, le juge peut aussi suspendre le permis de chasser du délinquant sur le fondement de l’article L. 428-15 modifié.
L’article 8, très politique, a pour objet de donner quelques garanties aux grands propriétaires terrorisés à l’idée que leurs domaines soient visités, une fois les enclos disparus ou mis aux normes, par des hordes de citadins en mal de naturalité : il est donc créé un article 226-4-3 au Code pénal disposant d’une nouvelle incrimination sanctionnant d’une contravention de 4e classe le fait « de pénétrer sans autorisation dans la propriété privée rurale ou forestière d’autrui » pourvu que « le caractère privé du lieu est matérialisé physiquement » et « sauf dans les cas où la loi le permet » (ce qui est une évidence…)
L’article 10 interdit opportunément l’agrainage et l’affouragement dans les espaces clos à l’article L. 425-5 du Code de l’environnement. Au regard des enjeux écologiques (surpopulation en milieu naturel) et agricoles (dégâts aux cultures), cette disposition était très attendue. Elle est à saluer.
Il est enfin à noter que les obligations de mise en conformité ou d’effacement des clôtures constituant un obstacle à la libre circulation de la biodiversité seront effectives au 1er janvier 2027. D’ici à cette date, les grands propriétaires ont promis de venir à bout des avancées de la loi. Le sujet est donc loin d’être « clos » : une avancée réelle pour les associations qui voudront certainement aller plus loin, et une atteinte disproportionnée au droit de propriété pour certaines grandes fortunes de France qui n’hésiteront pas à user des différents contentieux, administratif, judiciaire, constitutionnel et européen, pour mener une guerre totale à la transition écologique des territoires.
[1] Voir le rapport du CEGDD publié en 2019 sur le sujet de l’engrillagement en Sologne : https://www.vie-publique.fr/sites/default/files/rapport/pdf/272091.pdf